La persuasion en entrepreneuriat

De nombreuses startups ont participé à la transformation du web en un outil global de distribution de services et de produits. Les entreprises se sont approprié les technologies numériques qu’elles ont intégrées dans leurs processus de vente.

Les marketers considèrent que les techniques de persuasion sont indispensables, même s’ils ne les utilisent pas systématiquement pour pousser les utilisateurs à effectuer des actions. Voyons comment les professionnels du marketing utilisent les méthodes de persuasion et les principes d’influence pour rendre le web plus sûr, construire de la confiance, et augmenter les ventes.

La preuve sociale comme moteur d’adoption

Internet est le miroir de notre société. Dans les années 1990, on se moquait du web, dans les années 2000, il faisait peur. Désormais, il est le reflet de la réalité. Il y a donc moins de 20 ans, on conseillait aux internautes de ne surtout pas parler aux inconnus sur Internet, de ne pas rencontrer physiquement une personne avec laquelle on discute sur les services de discussion en ligne.

En 2019 il paraît complètement normal de monter dans la voiture d’un inconnu (Blablacar, Uber), de se rendre dans le domicile personnel d’un étranger et d’y dormir alors qu’il ne s’y trouve pas (AirBnb, Couchsurfing). Des méthodes persuasives ont participé au changement de croyances et ont influencé l’usage que font les personnes d’Internet.

La preuve sociale fait partie des principes d’influence décrits par Cialdini. Lorsqu’un individu ne sait pas quoi penser, il a tendance à copier le comportement d’autres personnes. Si une startup met en avant les clients qui utilisent son service, alors elle vient biaiser la décision d’achat et joue un rôle d’influence dans l’adoption de sa solution.

Outre l’évolution d’Internet, des téléphones et des applications, les différents services sur le web ont su gagner la confiance des utilisateurs.

Blablacar, AirBnb, Amazon, et d’autres, pour rassurer leurs utilisateurs, mettent en avant les avis que les précédents utilisateurs ont laissés. Les avis ont un rôle important, car ils véhiculent la preuve sociale. On peut les trouver sur la plupart des sites e-commerce, comme Amazon, CDiscount, Rakuten.Bert

Chaque avis est le témoignage personnel d’un individu. Le système de notation, avec les avis mis en avant, permet aux startups de mise en relation de rassurer les nouveaux utilisateurs de leur plateforme.

Gudog, pour faire garder son chien

Les avis sur AirBnb côté voyageur

Dans les deux plateformes de mise en relation ci-dessus, un système de note a été mis en place pour les deux parties. Par exemple pour AirBnb, les voyageurs laissent une note au logeur, mais le logeur note également le voyageur. Les notes et les témoignages ont participé à l’adoption d’Internet et à l’émergence de nouveaux services directement sur le web.

Les services de livraison de restaurant, les hôtels, les activités diverses, utilisent la même technique, si l’on va sur le site de UberEat, JustEat, ou encore TripAdvisor, nous retrouvons des systèmes de notation et d’avis très similaires.

Emprunter l’autorité d’autrui

Le biais d’autorité est également utilisé en stratégie digitale. C’est un élément persuasif qui permet de convertir plus de visiteurs en utilisateurs ou en acheteurs sur un site web. L’une des façons de faire appel à l’autorité la plus utilisée est d’emprunter l’autorité d’une marque, d’une institution célèbre. Pour cela, de nombreuses startups mettent en avant les logos de partenaires pour les aider à construire de l’autorité et de la confiance dans leur projet.

La startup Ornikar propose de passer le code pour 29,90€. On peut remarquer sur le site que l’entreprise utilise bien l’autorité en affichant directement sur sa page d’accueil trois citations élogieuses, données par des médias très connus en France. Plus l’autorité est haute, plus la confiance donnée dans un site web sera grande.

Utilisation des logos pour emprunter l’autorité de grands médias

La jeune startup Unkle utilise la même technique, mais seulement avec les logos (voir ci-dessous).

Les logos sur le site d’Unkle

Le seul fait de mettre en avant des logos connus rassure le visiteur, car il les reconnaît très rapidement. Un visiteur met quelques secondes pour juger un site web, il faut pouvoir l’accrocher et le retenir rapidement.

Une autre façon d’emprunter l’autorité d’une marque ou d’un média est de mettre en avant des extraits vidéos. Unkle utilise aussi l’extrait de leur passage à la télévision pour accentuer cet effet.

Extrait du passage d’Unkle sur BFM business

L’autorité peut également être empruntée à une personnalité. Des photos avec des célébrités, des politiques, des personnes qui font autorité dans leur domaine, renforcent la confiance du visiteur envers l’entreprise. C’est un des moteurs du marketing dit “d’influence” lors des campagnes de placements de produit sur les publications de personnalités sur les réseaux sociaux (particulièrement Instagram, YouTube et Tiktok). 

Même si une jeune marque n’est pas encore célèbre et ne fait pas figure d’autorité dans son domaine, elle peut trouver des astuces pour emprunter l’autorité de médias, de marques, de personnalités pour influencer le public.

Le Lead magnet comme pied dans la porte

La préparation progressive par petites étapes, par exemple : répondre à une question ou un sondage, augmente le taux d’acceptation d’une requête. Il s’agit du Pied dans la porte, une technique d’influence retrouvée dans la vente, dans le marketing, au sein d’organisations et dans le design d’interfaces et d’expériences utilisateurs.

Le pied dans la porte s’appuie très souvent sur l’engagement et le principe de cohérence décrit par Cialdini. Freedman et Fraser ont réalisé une expérience célèbre en tentant d’installer chez des sujets des panneaux publicitaires dans leur jardin pour faire la promotion de la préservation de la nature. La plupart des sujets n'acceptaient pas la requête. Mais en ajoutant une étape intermédiaire en formulant une première requête (en demandant de signer une pétition en faveur de la nature par exemple) quatre fois plus de sujets ont accepté d’installer le panneau chez eux.

Lorsqu’un individu accepte de compléter un questionnaire ou de signer une pétition pour la défense de la nature, celui-ci s’engage par l’action à devenir un défenseur de la nature. Il renvoie une image de défenseur de la nature à sa propre personne. Le principe de cohérence est un biais qui pousse une personne à rendre ses actions futures cohérentes avec ses actions passées. L’acceptation de la première requête engage l’individu. La théorie de l’engagement formulée par Kiesler et Sakamura (1966) remet en question nos théories traditionnelles, qui disaient que nos pensées dictaient nos actes. Ici, l’idée soutenue est plutôt que nos actes ont une influence sur ce que nous sommes. En acceptant une petite requête, on commence donc à se conformer à de nouvelles idées et de nouvelles actions.

Un exemple de pied dans la porte que l’on retrouve régulièrement dans les stratégies marketing des startups B2B, est l’Ebook gratuit. En particulier pour les SaaS B2B. La technique consiste à créer un contenu long, pédagogique et le laisser en téléchargement sur son site contre un email. Il s’agit en réalité du début d’une relation commerciale, entre la marque et son prospect.

Comet.co est une startup qui permet aux entreprises de trouver des développeurs adaptés à leurs besoins. Avant de convertir les entreprises visitant leur site, ils proposent des ressources gratuites qui sont très demandées par leur cible. Par exemple ils mettent à disposition un ebook expliquant pourquoi et comment travailler avec des freelances.

Page de téléchargement de l’ebook de comet.co

On retrouve ici un premier formulaire qui engage le prospect, et on est proche des expériences de Freedman et Fraser en 1966 : il s’agit d’un formulaire avec plusieurs informations importantes à caractère personnel et professionnel L’individu s’engage en donnant son adresse email professionnelle et avoue à la startup (et à lui-même) qu’il est intéressé par la thématique. Un processus d’auto-conviction se met alors en marche.

Dans cette situation, l’ebook fait office de “lead magnet” : un contenu offert sur le web, qui permet de générer un prospect en contrepartie pour la startup. “Lead” pour prospect, et “magnet” pour faire référence à l’aimant, qui attire les prospects.

Rendre service pour profiter de la réciprocité

Un deuxième principe d’influence décrit par Cialdini entre en jeu dans cette stratégie du lead magnet. Cet ebook gratuit déclenche le biais de réciprocité. Comet partage gratuitement des ressources qui ont de la valeur pour le prospect. Il s’agit d’un cadeau. Naturellement, un individu a tendance à se sentir redevable. Il sera donc plus enclin à passer à l’acte d’achat plus tard.

La récupération de l’email permet à la startup d’envoyer du contenu utile à l’entreprise cible ou à la personne ayant souscrit. Ce procédé est appelé le nurturing, il s’agit de renforcer la relation avec un prospect, par le marketing, pour l’accompagner jusqu’au stade de client. Il permet de gagner en confiance auprès de prospects et de les aider à identifier leurs besoins.

Le “lead magnet” n’est pas la seule technique faisant appel au biais de réciprocité. Il existe également le modèle du free trial (essai gratuit).

Page d’accueil de Shopify

Shopify est une solution web qui propose aux professionnels de créer leur site e-commerce facilement. Sur sa homepage la startup met en avant l’essai gratuit ou “free trial”. Cela permet aux visiteurs intéressés de tester sans payer ou renseigner leur numéro de carte bancaire. Le fait de pouvoir tester gratuitement renforce le biais de réciprocité et le principe de cohérence.

Le fait de pouvoir essayer et s’approprier un produit ou un service, c’est une forme d’engagement très forte. Si la solution répond en effet aux problèmes du prospect cible, alors il y a de grandes chances pour que celui-ci devienne client.

La réactance entre en jeu dans l’essai gratuit, car on s’approprie une solution, puis on voit notre liberté restreinte lorsque l’essai gratuit arrive à son terme. Cela peut provoquer un sentiment d’aversion face à la perte de la solution et pousser à l’achat de la version complète.

Dans la méthodologie Inbound Marketing, la notion de contenu et de rendre service sont au cœur des préoccupations du marketer. Gary Vaynerchuk aborde la notion de partage et le fait de donner au maximum, pour gagner la possibilité de faire une requête quand on le souhaite. À propos de son livre “Jab jab jab, right hook” il ajoutera : “Jabs are the value you provide your customers with : the content you put out, the good things you do to convey your appreciation. And the right hook is the ask : it’s when you go in for the sale, ask for a subscribe, ask for a donation.. You gotta throw some jabs before you throw your right hook.“ - Gary Vaynerchuk

La matrice AARRR et la théorie de l’engagement

Le marketing digital a énormément évolué de 2010 à 2019. Avec l’essor des réseaux sociaux, les canaux d’acquisitions sont devenus multiples et variés. Avec l’innovation dans le tracking et la gestion des données, de nouvelles méthodologies marketing, avec une vision pragmatique des résultats et de la croissance, sont apparues. Le growth marketing fait parti de ces nouvelles approches.

Le growth marketing est une discipline du marketing digital dédié à la croissance. Une équipe growth ne s’occupe pas de la communication, n’est pas spécialisée (par exemple en SEO), et ne travaille pas sur le branding de la marque. Le growth marketing se concentre principalement sur des leviers activables très rapidement pour générer des ventes, (comme la publicité ciblée sur les réseaux sociaux) et met en place des procédures marketing mesurables. Une équipe growth est capable d’avoir une approche rationnelle dans le développement de la croissance, elle est capable de tester et itérer jusqu’à trouver des canaux d’acquisition et des méthodes de transformation rentables.

Un growth marketer sait, pour 1€ dépensé dans une publicité, combien d’euros sont générés en vente par la suite, grâce à des outils d’analyse qui permettent d’évaluer la valeur de chaque visiteur, prospect ou client.

En growth marketing, une matrice appelée AARRR est très appréciée des startups. Elle signifie :

  • Acquisition, comment les utilisateurs nous trouvent-ils ?
  • Activation, est-ce que les visiteurs deviennent clients ?
  • Rétention, est-ce que les clients restent longtemps ?
  • Revenu, combien de revenus apporte un client ?
  • Referral, est-ce que les clients apportent de nouveaux prospects ?

Le growth marketing s’attaque à chacun de ces leviers pour optimiser la croissance d’une startup. Guillaume Cabane a été un pionnier dans le domaine (travaillant chez Apple, puis au sein des startups Mention, Segment puis Drift). Il a été l’un des premiers en France à mettre en place des tactiques growth marketing appliquées à la rétention ou au referral par exemple.

Une technique célèbre et maintenant utilisée par de très nombreuses startups a été inventée par Guillaume Cabane. Il s’agit d’une méthode pour augmenter le nombre de clients à la suite d’un essai gratuit. Après avoir utilisé gratuitement une solution pendant 15 jours, un individu reçoit un email lui proposant de passer à la version payante, il décide de ne pas donner suite. C’est à ce moment que la technique intervient.

Cabane décide d’automatiser l’envoi d’un email à toutes les personnes qui ont terminé l’essai gratuit et qui ne sont pas devenues clientes. Cet email contient un court formulaire, demandant de juger de la satisfaction de l’utilisation de la solution gratuite. Le prospect va alors auto-évaluer sa satisfaction. À la suite des réponses au formulaire, Cabane va automatiser l’envoi d’un autre email, seulement aux personnes ayant fait un retour positif.

Cet email les remercie d’avoir testé la solution, et propose un bon de réduction de 15% pour les trois premiers mois d’utilisation. Le taux transformation de prospects en client augmente alors significativement et impacte la croissance de la startup, car le modèle est automatisé et reproduit à grande échelle, sur des milliers de prospects.

On reconnaît ici ce qui constitue une étape supplémentaire pour influencer le comportement du prospect. En s’appuyant sur la théorie de l’engagement, la startup demande à l’utilisateur d’auto-évaluer sa satisfaction. Lorsqu’un individu accepte de compléter le formulaire de satisfaction, il renvoie une image d’utilisateur satisfait à sa propre personne : il se dit qu’il pourrait être client. L’acceptation de cette requête engage le prospect.

Le RGPD et les limites dans le traitement de données

Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) est le texte de référence concernant le traitement des données à caractère personnel concernant les individus habitants au sein de l’Union européenne. Le règlement met en avant le droit à l’effacement de façon unifié, chaque citoyen doit avoir le contrôle sur ses données privées et peut les retirer à tout moment. Il reste maître de ses informations personnelles.

En mai 2019, Olivier Ezratty partage dans son ouvrage “Guide des Startups en France” une mésaventure qui lui est arrivé, dans le chapitre dédié aux growth hacking.

“Le growth hacking peut être parfois contre-productif. Il est à doser avec discernement. Cela peut intégrer le scrap de sites web et annuaires. [...]

D’autres arrosent des audiences non qualifiées en commençant par un mensonge effronté. C’est par exemple le cas d’une startup que je me permets de dénoncer, [marque] qui se positionne comme le numéro un de la publicité sur mobiles.

Ils m’ont plusieurs fois envoyé des mails prétendant qu’un habitant de ma région était intéressé par mes services. C’est évidemment faux et cette personne n’existe probablement pas.

Comme je n’ai pas de compte chez eux, comment pourraient-ils promouvoir mes services à l’insu de mon plein gré ? En scrappant LinkedIn ou mon propre site web ?

Le pire est que la demande de « unsubscribe » ne fonctionne pas chez eux et qu’ils peuvent récidiver plusieurs fois.”

Le cold emailing est une technique utilisée en growth marketing et en prospection commerciale. Là où le problème majeur arrive, c’est que le bouton pour se désinscrire ne fonctionne pas. Le droit à l’effacement n’est absolument pas respecté.